Un groupe de travail "Responsabilité des gestionnaires publics" s'est tenu le 3 novembre 2022.
Liminaire
Messieurs les présidents,
Nous sommes réunis pour aborder les effets du nouveau régime de Responsabilité des gestionnaires publics entrant en vigueur le 1er janvier prochain.
À la réception de la fiche destinée à nourrir nos débats, nous avons d’abord cru qu’il s’agissait d’un texte destiné à un message Twitter. À peu de choses près, elle aurait pu ne pas excéder les 280 caractères. Nous savons que trop d’informations tue l’information. Mais tout de même, prenez-vous réellement ces groupes de travail au sérieux ? Et souhaitez-vous franchement que nous y participions ? Alors que cette réforme va vous permettre de modifier les méthodes de travail qui concernent le contrôle de la dépense publique, rien de rien. Pas la moindre information nouvelle depuis le premier groupe de travail de janvier.
Pendant ce temps, vous avez avancé. Nous en voulons pour preuve les communications que vous avez réalisées à destination de certaines comptables à Nevers ou ailleurs, où vous avez abordé par le menu détail certaines implications de la réforme, comme par ailleurs les admissions en non valeur des créances fiscales…
En se rendant sur Ulysse, il est possible de trouver plus d’informations que celles qui figurent dans ce document préparatoire…
Nous ne pouvons que déplorer la légèreté avec laquelle vous considérez les représentants du personnel. Il va falloir changer de méthode et rapidement !
Revenons un temps, rapide, sur le volet juridique. Rendre responsable de sa faute un comptable ou un ordonnateur va de soi, encore eut-il fallu intégrer aux dits ordonnateurs les ministres ou les élus dont la charge ou la fonction implique bel et bien des responsabilités.
La RPP a bien des travers, mais qui résultent bien plus de l’attitude de l’administration et du juge des comptes que du principe lui-même. La réforme de 2011 a d’abord confondu logique restitutive et logique répressive. Introduisant la notion de préjudice financier, elle a ensuite été vidée de sa substance par la Cour des comptes qui a continué à voir des manquements avec préjudice dans de simples irrégularités formelles… Nous l’avons déjà dit, moderniser la RPP est sans aucun doute souhaitable, mais comme toute réforme qui vise à améliorer et non à désintégrer, elle implique de réunir l’ensemble des protagonistes et de discuter ensemble, en toute transparence, des solutions envisageables afin de choisir la plus appropriée.
Quant aux travaux réglementaires pour une mise en œuvre de la réforme au 1er janvier 2023, nous ne pourrons en parler définitivement puisque le décret n’est pas encore signé. Encore que nos camarades de Solidaires fonction publique, eux, ont été destinataires du projet de décret. Aborder les différentes mises en œuvre qui impactent les comptables ou leurs services eut été de bon aloi. Par exemple, parmi les nouveautés de la RGP, la possibilité, ouverte au comptable, de signaler à l’ordonnateur de faits susceptibles de constituer une infraction ou la procédure d’admission en non valeur des créances fiscales.
Quid de la responsabilité managériale, bras armé de la DGFiP ? Vous avez choisi ou avez été contraints, nul ne le sait, de déléguer à la Cour des comptes la définition de la faute grave et du préjudice financier significatif. Nous le regrettons mais n’allons pas épiloguer sur le sujet. Nous avions déjà largement développé ce point lors de nos premiers échanges. Mais il va falloir être un peu plus disert sur la responsabilité managériale : quelle faute est susceptible de l’engager ? Quelle sanction est envisagée ? Quel recours sera possible ? Pour Solidaires Finances Publiques il n’est pas acceptable de confier aux directeurs locaux un moyen supplémentaire de contrainte sans cadre objectif précis. Le pouvoir discrétionnaire n’est pas compatible avec la transparence qui doit présider dans une administration moderne.
Reste le volet d’évolutions des pratiques dans la chaîne financière, cœur réel de la réforme. Vous en attendez une maîtrise réelle des risques les plus saillants. Sauf à dire qu’avant et actuellement, le régime de responsabilité personnelle et pécunière a comme conséquence une absence de maîtrise des risques, l’on peut s’interroger sur cette formulation : maîtrise réelle ? Si l’on a besoin d’une maîtrise réelle, c’est que nous n’avons qu’une maîtrise affichée aujourd’hui. Au-delà des défauts de la RPP, cela ferait des décennies que l’on ne maîtrise pas la chaîne comptable ? Qu’avez-vous donc fait, vous et vos illustres prédécesseurs ? Et quel génie a imaginé la fin de la RPP pour avoir enfin une administration comptable digne de ce nom ?
Bien, abordons la maîtrise réelle des risques les plus saillants.
Notons tout de suite qu’on ne s’intéresse pas aux risques communs, ou quelconques. Il y a une marge entre consacrer « trop » de temps à des poursuites sur des créances manifestement compromises pour justifier de leur irrécouvrabilité, et ne plus contrôler certaines opérations. Cela s’appelle jeter le bébé avec l’eau du bain. À moins que l’intelligence artificielle (ou traitement automatisé d’analyse prédictive) ne veille sur le bébé. Sans doute le prix de la modernisation des relations entre l’ordonnateur et le comptable… Mais votre document s’arrête sur mieux contrôler ce qui mérite de l’être. Sans autre forme de procès. Il eut été utile de discuter sur l’expérience à la DSFiPE, sur les conditions de sa généralisation, son adaptation ou pas aux différentes sphères de la GP, sur les résultats, attendus, obtenus, les conséquences en termes de travail pour les agents et agentes.
Vous abordez ensuite la suppression de la RPP comme un enjeu de simplification de nos procédures. Et annoncez que vous réfléchissez à des pistes de simplification en matière de gestion fiscale, dans la sphère état et dans la sphère collectivités locales. Ou votre réflexion n’est pas aboutie ou vous vous n’en avez qu’un partage très sélectif. Or, les bureaux CL ont déjà produit 23 pages de propositions de simplifications. Il eut été utile, là aussi, de discuter des attendus et des conséquences sur le travail.
Enfin, vous voulez renforcer et moderniser le pilotage en interne. Et pour ce, vous appuyez sur la maîtrise des risques et le pilotage de l’activité. Sans détail sur les nouveautés ou pas quant à l’identification des anomalies. Sans précision sur l’adaptation au nouveau régime de RGP quant au contrôle de gestion efficace. Devons-nous vous dire qu’il eut été utile de discuter plus avant des attendus et des conséquences sur le travail ?
Que va-t-il advenir enfin des pôles interrégionaux d’apurement administratif de Rennes et de Toulouse ? Nous n’avons pas la moindre information sur le sujet à moins de 2 mois de l’entrée en vigueur de la réforme. Comment croyez-vous que vivent les collègues de ces pôles sans la moindre information ? Des arbitrages étaient attendus en octobre. Mais peut-être attendez-vous la saint-glinglin pour nous les communiquer ?
Si nous restons dans ce groupe de travail, c’est uniquement pour discuter des attendus et des conséquences de vos projets sur le travail des collègues et sur le devenir des missions.
Compte-rendu
Trop d’informations tue l’information : l’administration opte donc pour le « pas d’information »...
ou un GT sur la responsabilité des gestionnaires publics pour rien...
En préambule, l’ensemble des organisations syndicales représentatives a dénoncé l’indigence du document fourni pour alimenter les débats. Il ne s’agit en effet même plus d’un simple GT informatif puisque dépourvu d’information. Nous attendions donc les échanges avec l’administration sans grande illusion d’obtenir enfin des réponses aux questions de principe que nous posions. Solidaires Finances Publiques, a donc indiqué à l’avenir, qu’à défaut d’obtenir des documents substantiels et plus encore des informations sur des sujets essentiels pour l’exercice des missions et les conditions de travail des agents lors des groupes de travail dédiés, ne pas exclure de solliciter avec les autres OS, des CTR thématiques pour obtenir directement des réponses du directeur général.
Faute d’information véritablement nouvelle, nous ne pouvons que vous restituer les quelques rappels qui ont été faits.
Sur le périmètre de la responsabilité des gestionnaires publics, des inquiétudes légitimes nous sont remontées. Il y a toutefois lieu de rassurer celles et ceux qui craignent que le nouveau régime ne fasse poser sur leurs épaules une nouvelle responsabilité. Rien ne change ou presque pour les agentes et les agents du comptable.
L’administration ne fait que confirmer l’interprétation que nous faisions des textes. En dehors du personnel de l’ordonnateur et du comptable, tout agent peut théoriquement voir sa responsabilité engagée. Ce n’est pas nouveau s’agissant de la responsabilité pénale. En dehors du mécanisme de la RPP un agent qui détourne des fonds voit aujourd’hui sa responsabilité pénale et disciplinaire engagée. Ce dispositif perdurera avec en plus la responsabilité financière qui pourrait s’ajouter.
S’agissant des ordonnateurs de la DGFIP et sauf à accorder sciemment un avantage indu en vue d’en retirer un intérêt personnel, il n’y aura pas plus de mise en cause.
Pour les autres agents le principe hiérarchique demeure. Un agent qui applique les consignes de sa hiérarchie ne peut être inquiété. Une simple erreur ou omission n’engage pas la responsabilité financière des agentes et agents du comptable ou de l’ordonnateur. Il faudrait une faute grave (ce qui implique vraisemblablement une initiative personnelle particulièrement malvenue) entraînant un préjudice financier significatif pour la collectivité.
Le volume des affaires qui devrait être traité par la 7 ème chambre de la Cour des comptes laisse entrevoir l’étendue effective de la responsabilité juridictionnelle des comptables. 40 à 60 dossiers par an annoncés par la Cour, incluant les ordonnateurs et les comptables de l’État, des collectivités territoriales et des organismes rattachés. Aujourd’hui la Cour de discipline budgétaire et financière qui traite de la responsabilité des ordonnateurs et dont le faible nombre de mises en cause est critiquée, examine 15 dossiers par an. Il ne devrait donc y avoir guère plus de 25 à 35 dossiers de comptables, toutes administrations confondues, examinés par la nouvelle formation de jugement.
La responsabilité managériale. Rappelons que c’est l’alternative à la responsabilité juridictionnelle. C’était à notre sens l’enjeu de ce groupe de travail car elle dépend exclusivement de la DGFIP. Quelle faute peut conduire à l’engagement de cette responsabilité, quelle sanction est encourue et quel recours existera ? Solidaires Finances Publiques a exigé des textes clairs sur le sujet. Toute mesure défavorable, même non disciplinaire, ne peut intervenir que dans un cadre précis.
La réponse de l’administration est pour le moins floue. Il ne faut pas confondre responsabilité juridictionnelle et responsabilité managériale. La responsabilité managériale n’emporterait en tant que telle pas de sanction, mais simplement une prise en compte de la qualité de la gestion du comptable lors de l’évaluation professionnelle.
Nous étions circonspects l’année dernière quand nous lisions dans une tribune que Stéphanie Damarey, professeure de droit public, dénonçait le fait que le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics allait consacrer en réalité une forme d’irresponsabilité des comptables publics. Aujourd’hui et à mesure que nous avançons, nous pouvons penser qu’il s’agira d’une responsabilité très exceptionnelle mais surtout craindre que sa mise en œuvre non juridictionnelle demeure à géométrie très variable.
La modulation de l’éventuelle part variable n’a pas été clairement évoquée comme ce fut le cas lors des premières réunions. Ce qui est en revanche à peu près certain, c’est la volonté d’accroître un peu plus l’emprise des directeurs locaux sur les comptables publics. Après le choix discrétionnaire des chefs de service recrutés sur profil viendra le temps de la responsabilité managériale discrétionnaire.
Solidaires Finances Publiques a tout de même fait remarquer que le ou la DDFIP était autorité de saisine du procureur de la Cour des comptes et qu’à ce titre, il ou elle avait le pouvoir de décider d’orienter un dossier vers la procédure juridictionnelle ou de le conserver au titre de la responsabilité managériale, ce qui est loin d’être neutre ! Solidaires Finances Publiques a dénoncé le mouvement général qui consiste à faire des directeurs locaux des fonctionnaires omnipotents dont la gestion managériale est de moins en moins soumise à des règles objectives, transparentes et appliquées de manière égale à l’ensemble des personnels.
Sur l’évolution de la rémunération des comptables de la DGFIP. Là encore, le discours n’a pas été des plus explicites. Si la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics n’emporte, par elle-même aucune conséquence sur le régime indemnitaire des comptables (les indemnités de caisse et de responsabilité sont maintenues, elles ne font que changer de nom pour « indemnité de maniement de fonds »), celui-ci dépend d’autres discussions à venir relatives à la prise en compte de la manière de servir…,
Sur le devenir des pôles interrégionaux d’apurement administratif Le président de séance s’est voulu rassurant en indiquant avoir programmé prochainement une visite à Rennes. Il y aura d’abord une période de transition. Le travail effectué dans les PIAA est nécessairement amené à évoluer en passant d’une approche quantitative à une approche plus qualitative. La disparition de l’apurement administratif des comptes impliquerait donc pour l’heure non la suppression de ces structures mais une modification des missions.
et celui des autres services dont les missions sont directement impactées par la réforme
a également été souligné le sort des équipes travaillant en direction sur le contrôle des admissions en non valeur ou assurant le visa des comptes de gestion du SPL. Là encore, pas de réponse immédiate mais bien entendu suppressions d’emplois et maintenant redéploiements d’emplois vers d’autres missions ne sont pas exclus ! A ce stade les implications RH de cette réforme ne sont toujours pas abordées par l’administration.