Un groupe de travail s'est tenu sur GMBI le 2 février 2024, dans une configuration inédite, où les bureaux de la Gestion Fiscale et des Systèmes d'information étaient présents pour tirer un bilan des dysfonctionements en série qui ont mené à l'accident industriel de 2023.

Liminaire

Messieurs les présidents,

Tout d’abord Solidaires Finances Publiques prend acte de la communication du 17 janvier 2024 sur Ulysse et du contenu de la fiche de ce groupe de travail. Il s’agit pour nous du premier vrai début de mea culpa de la Direction générale en la matière. Certes il arrive tardivement, mais mieux vaut tard que jamais.

Pour nous ce groupe de travail aujourd’hui doit permettre d’éclaircir plusieurs points. Tout d’abord, comprendre pourquoi la campagne GMBI de 2023 s’est déroulée de façon aussi catastrophique. Comprendre pourquoi l’administration a pris des décisions incompréhensibles et en totale inadéquation avec les attentes de nos concitoyens et avec la réalité du terrain.

Contrairement aux propos de notre ancien directeur général, les différentes organisations syndicales dont Solidaires Finances Publiques vous avez alertés à de très nombreuses reprises. Dès novembres 2020, nous dénoncions déjà le processus de déclaration numérique que vous vouliez mettre en place.

Nous avions à cette époque déjà exprimé le fait que votre volonté de déporter les missions des agents des finances publiques sur les contribuables eux-mêmes ne serait pas sans conséquence à la fois sur les services et sur nos concitoyens.

Plus récemment, en décembre 2022, lors d’une audience en votre présence, nous avions clairement dit et affirmé que pour nous, recenser en six mois, 33 millions de biens était largement irréaliste. Nous avions dénoncé le fait que faire reposer le processus déclaratif sur une déclaration uniquement en ligne était chimérique et utopique et qu'il était évident que de très nombreux contribuables, voire la très grande majorité, auraient besoin d’un accompagnement, d’une explication et auraient besoin d’être aidés et guidés dans leur démarche.

Force est de constater que toutes nos remarques, nos inquiétudes, nos arguments n’ont été ni écoutés, ni pris en compte et que nos craintes se sont malheureusement révélées fondées.

Mais aujourd’hui Solidaires Finances Publiques voudrait comprendre. Comprendre pourquoi vous avez sciemment ignoré les alertes qui vous sont remontées à la fois des organisations syndicales, mais également des agents. Comprendre la logique, s’il y en a une, qui a conduit à un tel fiasco. Comprendre pourquoi certains choix de votre part demeurent encore à ce jour totalement incompréhensibles.

Certes, on ne peut nier que la mise en place de GMBI est bien liée à la décision du pouvoir politique de supprimer la taxe d’habitation sur les habitations principales en 2018. Mais on peut toutefois se questionner sur le choix politique et administratif qui a été fait de passer uniquement par une déclaration numérique. On peut également se questionner sur les modalités pratiques de la mise en place de cette obligation déclarative en elle-même.

Certes, le système qui existait via les fiches 1235-1236 était loin d’être parfait, souvent lourd, chronophage et de ce fait largement perfectible. Il avait toutefois le mérite de fonctionner plutôt correctement, et d’être simple et facilement compréhensible pour les propriétaires.

Aurait-il été totalement inenvisageable de réfléchir à une modernisation de ce système ?

De même, était-il irréalisable de moderniser et d’adapter une application comme LASCOT qui fonctionnait plutôt bien, au lieu de faire table rase du passé, et de vouloir à tout prix changer pour changer alors qu’on savait que la nouvelle application SURF n’était ni finalisée, ni même opérationnelle !

Pour Solidaires Finances Publiques, outre les points précédents, les choix qui ont été faits en matière de communication ont clairement accentué une situation déjà périlleuse.

À ce titre nous nous référons à l’avis émis par la DINUM en 2020 et signé par le Directeur Général Adjoint : "les coûts de conduite de changement (communication auprès des usagers, formation des agents, assistance aux usagers) nous paraissent très sous estimés."

En guise de communication nous avons eu droit à un communiqué de presse le 23 janvier 2023, à diverses interviews dans les médias et la presse, à la mise en place d’un tutoriel GMBI sur YouTube, et à l’envoi de différentes mass mail pour finir avec le lancement de la campagne digitale le 9 mars 2023. Et c’est tout.

Vous avez donc opté pour une communication peu ciblée, tous azimuts, et massivement par voie de mass mail. Et c’est par ce biais que vous comptiez mobiliser 33 millions de personnes en 6 mois ?

Première question : Pourquoi ne pas avoir envoyé un courrier papier explicatif très en amont (en décembre 2022, ou en janvier 2023 par exemple) ce qui aurait permis de toucher réellement tous les propriétaires et de lisser la charge de travail des services sur une durée plus longue et de déporter les travaux GMBI sur le début d’année en lieu et place de la période de la campagne IR ? À cause du coût ? Car vous pensiez que c’était inutile ?

Question : Pourquoi cette obligation de passer uniquement par un portail numérique, alors qu'il était largement prévisible qu'une grande partie de nos concitoyens seraient pour le moins déboussolés par la démarche qu’on attendait d’eux ?

Si incontestablement, aujourd’hui, une très grande majorité de nos concitoyens font leurs déclarations de revenus de manière dématérialisée (près de 90 %), ce chiffre élevé arrive au bout d’un très long processus qui a commencé depuis plus de 20 ans… Ce qui n’empêche pas d’ailleurs les contribuables de se déplacer et de nous contacter de manière massive et régulière. De l’aveu même de notre ancien Directeur Général, nous retrouvons aujourd’hui en matière d’accueil des chiffres similaires à la période avant COVID.

De plus, il ne faut pas oublier que malgré l’obligation (théorique) d’utiliser un moyen dématérialisé pour déposer sa déclaration de revenus, près de 4 millions de personnes utilisent encore et toujours le papier.

Par ailleurs, il n’y avait rien de commun et rien de comparable entre la campagne IR et la campagne GMBI qui était une nouvelle obligation, totalement inconnue de nos concitoyens, et mettant, en focus, des données cadastrales et foncières que le contribuable ne maîtrisait absolument pas.

Ceci aurait dû à nouveau vous alerter et vous inciter à la prudence. Ce n’a pas été le cas.

 

Question : Pourquoi, alors que certaines directions ont pris sur elles de diffuser un modèle papier dès le mois de décembre 2022, ceci n’a pas été fait par la Direction générale ?

Question : Pourquoi n’a-t-il pas été envisagé dès la phase de conception de l’application, l’envoi systématique et a minima, d’un accusé de réception à la suite de la déclaration en ligne ?

Question : Pourquoi un envoi et une relance aussi tardive auprès des grands bailleurs ?

Question : Pourquoi la neutralisation des enfants mineurs n’a-t-elle pas été mise en place ? Alors que l’on sait que c’est une frange de population très sensible.

Question : Pourquoi une vision applicative différente entre agent et contribuable ?

Question : Pourquoi une absence de co-browsing ?

 

Ce ne sont ici que quelques exemples, mais nous aimerions savoir, alors que votre futur plan d’action cite expressément quelques-unes de ces mesures, pourquoi elles n’ont pas été mises en place dès l’année dernière ? Quel raisonnement, quelle logique vous ont amenés à ne pas vouloir déployer ces dispositifs qui semblaient pourtant évidents et couler de source ?

Ces mesures n’auraient pas à elles seules évité la saturation de nos accueils, et les interrogations de la population, mais elles auraient facilité les procédures d’accueil et permis de faire baisser la pression tant du côté des usagers que des agents des Finances Publiques.

Pour Solidaires Finances Publiques, cette période fut à n’en pas douter un moment difficile pour tous et toutes. Les agents des Finances publiques, tous les agents et agentes des Finances publiques se sont montrés plus que courageux face à un attentisme, et face à un manque de discernement et d’anticipation de la Direction générale. C’est vraiment eux qui ont permis à la DGFiP de ne pas s’écrouler, et ce au prix de conditions de travail et d’accueil catastrophiques. Seule consolation, une maigre prime pour solde de tout compte et certains moins chanceux qui n’auront pour seule reconnaissance que vos mots tardifs en guise de mea culpa sur ce fiasco annoncé et largement prédictible, même sans IA.

Nous souhaitons que les leçons du passé soient tirées afin qu'une telle situation ne puisse plus jamais se reproduire.

À ce titre, il est évident que pour nous la politique du tout numérique que vous avez portée a failli, que vous devez arrêter de voir le monde à travers une réalité fantasmée. Nous le réaffirmons : nos concitoyens ont besoin d’être aidés et accompagnés au quotidien dans leurs démarches. Ils ont besoin d’avoir à leur côté un service public performant, disponible et à l’écoute de leurs besoins. Ils ont besoin d’un contact humain pour exprimer leurs interrogations, leurs doutes, leurs besoins.

Nous espérons que cette campagne GMBI aura eu au moins le mérite de vous faire prendre conscience de cette réalité.